Coeur de la pratique spirituelle, le dhikr , selon Ansârî, c’est « quand tu oublies tout ce qui n’est pas Lui et quand tu t’oublies toi-même dans l’acte de te rappeler, puis lorsque tu oublies l’acte de te rappeler dans l’acte de te rappeler, puis lorsque tu oublies tout rappel dans le souvenir actuel que Dieu a de toi.»
On a dit : “Quand l’homme s’applique continuellement à occuper ses instants par le dhikr d’Allâh, quand il préserve ses souffles par son discernement ininterrompu de la présence divine en Allâh, pour Allâh, par Allâh et avec Allâh, il est compté parmi les êtres spirituels qu’aucun voile ne sépare plus de ce qui est caché dans le monde invisible, car son incantation est une force spirituelle revêtue d’une forme lumineuse. Elle évolue dans le monde invisible, et ses secrets lui sont dévoilés tôt ou tard.” Cet extrait du livre du shaykh Tadilî, ad‑dîn n‑nasîhah (La vie traditionnelle, c’est la sincérité), illustre l’importance fondamentale de la pratique de l’invocation (dhikr) dans l’ascension spirituelle de celui qui aspire à la réalisation (murîd). Le dhikr est l’arme par excellence qui permet de dépasser les obstacles psychiques et de replacer l’ego (principal obstacle à l’accomplissement spirituel) dans une position soumise à l’Esprit (rûh), aspect divin présent en chaque être.
Il faut noter que le dhikr de la langue comporte une certaine limitation et ne constitue donc qu’une première étape. En effet, il est dépendant du dhikr du coeur par le fait que ce dernier nécessite une initiation. Cette initiation, qui implique dans le soufisme la transmission du sirr (secret spirituel) du maître vers le disciple, vivifie le dhikr. Ainsi l’invocation des Noms d’Allâh met-elle en oeuvre le sirr dans le coeur du disciple ou de l’aspirant. De plus, arrivé à un certain niveau du cheminement spirituel, ce dhikr du coeur se révèle permanent : même sans l’emploi du verbe, l’aspirant manifeste dans tout son être la Présence divine, il est “en Allâh, pour Allâh, par Allâh et avec Allâh”, il n’oublie jamais l’Invoqué. Le dhikr du coeur est, dans l’islam, propre au soufisme.
Un certain nombre de règles de bon usage sont à respecter au plan individuel ou collectif. Dans son livre Les vertus du dhikr, le shaykh Abdelkader Ayssa préconise notamment d’observer une certaine pureté du lieu où l’on s’apprête à invoquer, des vêtements que l’on porte ainsi que de la bouche. De plus, le dhakir (celui qui s’adonne au dhikr) doit, selon lui, s’orienter vers la qibla (La Mecque) et essayer de se concentrer uniquement sur la présence divine par une orientation du coeur
Une autre vertu essentielle doit animer le coeur de celui qui invoque : la persévérance. Lors de ses premiers pas dans la voie spirituelle, l’aspirant peut être désorienté par la bataille que se livrent à son insu le dhikr et son âme charnelle. L’aspirant doit alors s’armer de persévérance car, ainsi que le disait le grand saint égyptien Ibn `Atâ Allâh al-lskandari (Hikam, 44) : « N’abandonne pas le rappel de Dieu (dhikr) parce que tu n’y es pas présent. Car la négligence du rappel est pire qu’une négligence dans le rappel. Il se peut que Dieu t’élève d’un rappel fait avec négligence, à un autre fait avec vigilance. Et de celui-ci, à un rappel où tu Lui deviens présent. Et de celui-ci encore, à un autre où tu deviens absent à tout ce qui n’est pas l’objet de ton rappel.
“Et cela pour Dieu n’est point difficile.” (Coran XIV 20)
Le disciple s’élève alors vers la Présence divine, réalisant ainsi le but essentiel de la Voie, qui est de dépasser son individualité en vue de l’accession à l’état d’Homme Universel. Il peut alors discerner l’unité dans la multiplicité et la multiplicité dans l’unité.
Il est bon cependant de préciser que les effets du dhikr sont innombrables et que les avantages en sont nombreux, bien avant même avant d’avoir atteint la réalisation. Les premiers fruits obtenus grâce à cette discipline et cette persévérance sont un sentiment de paix et de sérénité ainsi que la conviction de l’authenticité de la voie.
Par la suite, l’aspirant acquiert une vigilance envers ses actes et ses pensées : le dhikr le préserve contre l’oubli de Dieu, sa langue ignore toute parole profane. Il représente l’arme qui lui permet de ne pas s’éloigner de Lui, de rester orienté en toute circonstance .Il agit ainsi en conformité avec le hadith dit de Jibrîl (Gabriel) : “Adore Dieu comme si tu Le voyais, car si tu ne Le vois pas, Lui te voit.”
Enfin la fonction du dhikr est aussi rédemptrice. L’aspirant s’accorde une part de miséricorde divine. Car “il n’y a pas de meilleur salut vis-à-vis du châtiment d’Allâh que le dhikr d’Allâh”. Ainsi chaque invocation efface une part de faute et constitue alors, pour l’aspirant, un pas vers le paradis.
Raphaël Feur