Le début de la sagesse commence par un questionnement intérieur : ” quels sont nos manquements ? Quels sont nos dysfonctionnements ? Par rapport à ce qui est central, la spiritualité, et son adjuvant, l’amour inextinguible “.
Il s’agit tout d’abord de reconnaître l’unité du genre humain, le monogénisme. ” Ô vous les gens, Nous vous avons crée d’un homme et d’une femme, nous vous avons constitué en peuples et tribus afin que vous vous reconnaissiez. Le plus noble parmi vous auprès de Dieu est le plus pieux ” (Coran). ” La piété ne consiste nullement à tourner votre face du côté de l’Orient ou du côté de l’Occident ; la piété véritable consiste à aider l’aveugle, l’indigente, l’orphelin, l’enfant de la route “.
Toutefois qui dit unité du genre humain ne dit absolument pas uniformité. Il y a là une diversité voulue, comme un plan divin pour les hommes. Parce que dans son omnipotence et son omniscience, Dieu aurait pu faire de nous une seule communauté mais il ne l’a pas fait, et ceci n’échappe pas à sa toute puissance, ni à sa sagesse.
Nous trouvons une allusion à cela dans le verset 48 de la Sourate V : ” Si Dieu l’avait voulu, il aurait fait de vous une seule communauté, mais il a voulu vous éprouver par le don qu’il vous a fait. Cherchez à vous surpasser les uns les autres dans les bonnes actions. Un jour vous retournerez à Dieu, alors Il vous éclairera au sujet de vos différences “.
Notre diversité, celle des langues, des cultures, de traces ethniques, de religions est un plan divin. Cependant c’est une épreuve et un don incommensurable.
Une épreuve rude lorsque l’on donne libre cours à l’hypertrophie de son ego, à l’arrogance. Et dans ce cas malheureusement cette diversité est une source de conflits.
En revanche lorsque l’on exorcise les peurs et que l’on apprivoise les hantises, que l’on fait des obstacles le lieu de la médiation et de la rencontre, cette diversité devient une source de bonheur incommensurable.
A la manière du soufi qui disait ” Seigneur, dilates mon cœur afin d’accueillir toutes tes créatures sinon pulvérises-le pour qu’ainsi atomisé chacune d’elles puisse en recevoir une parcelle “, là, au-delà de la simple tolérance qui peut trahir une attitude hautaine et condescendante vis a vis du toléré, il y a place à une exigence d’amour oblatif, théologal, incandescent.
Deux versets coraniques parlent de cet Amour : ” Dis leur : Si vous aimez Dieu, suivez-moi, Il vous aimera et vous pardonnera vos fautes ” ; ” Certes Dieu suscitera un peuple qu’Il l’aimera et qui L’aimera “.
Et Teilhard de Chardin disait ” quand on aura épuisé les ressources des marées, du vent, de l’énergie de tout ce qui nous environne, il nous restera encore à puiser dans l’énergie de l’amour et là nous redécouvrirons un feu qui nous embrasera tous “.
Rabi’a Al Adawiyya rencontrée avec une torche dans une main et un seau d’eau dans l’autre disait ” je vais incendier le Paradis et éteindre le feu de l’Enfer pour que les hommes se mettent à adorer leur Seigneur pour Lui seul ” et elle s’est mise à composer son fameux poème des deux amours : ” je T’aime de deux amours : un amour vraiment digne de Toi , et un amour visant mon propre bonheur ; quant à l’amour de la passion c’est que je ne m’occupe à ne penser qu’à Toi et quant à l’amour vraiment digne de Toi c’est que tes voiles tombent et que je Te vois ni en l’un ni en l’autre, nulle gloire pour moi mais louanges à Toi et pour celui-ci et pour celui-là “.
Ibn ’Arabi, le plus grand maître de tous les temps pour certains, avait dit en écho : ” mon cœur est devenu capable de toutes les formes : il est devenu couvent pour le moine, prairie pour la gazelle, Kaaba pour le pèlerin, feuillet du Coran, table de la Torah, je ne professe que la religion de l’Amour, où que se dirigent ses caravanes, car l’Amour est ma religion, ma foi “.
Cette omniprésence de l’Amour doit être le phare qui nous guide, nous qui sommes embarqués dans ce vaisseau planétaire et qui ne voudrions en aucun cas que l’embarcation soit avariée. Nous voulons précisément qu’elle arrive à bon port, un havre de paix dont le substratum est la justice. Une justice véritable doit être suivie par le pardon et la réconciliation. Car il n’y a pas mieux que d’assainir son âme de l’animosité infâme, que de purifier son cœur de toutes les rancœurs.
Un mystique du 13è siècle disait : ” j’ai passé ma vie à noircir la blancheur des pages afin d’acquérir le savoir, et je me suis rendu compte que j’aurais dû aussi purifier la noirceur de mon cœur “.
Tel l’héliotrope qui suit le soleil, l’âme humaine est elle-même ” théotrope “, elle cherche Dieu. Elle est parfois gagnée par le doute, elle ne veut pas lâcher la proie pour l’ombre, elle ne veut pas fuir les angoisses de l’heure pour un leurre. Il y a d’abord un énorme travail intérieur, une véritable effervescence, et puis la grâce divine, le concours divin fait le reste, comme l’a constaté al Ghazali : ” Dieu a projeté dans ma poitrine une lumière qui m’a fait réaliser que … “.
S’il devait y avoir une sagesse, une spiritualité, une orientation pour l’humanité en ce début de siècle c’est, avec beaucoup d’humilité, beaucoup de retenue mais aussi beaucoup de présence et de témoignage, dire que l’âme humaine n’est pas avilie ni pervertie, elle procède de Dieu et qu’il y a du chemin à parcourir. Ce qui compte c’est de faire le pas. Le plus grand voyage commence par un pas.
Ghaleb Bencheikh
Extraits d’un dialogue pendant les rencontres méditerranéennes sur le soufisme entre Ghaleb Bencheikh, physicien, spécialiste de l’islam, écrivain et Faouzi Skali anthropologue, écrivain spécialiste du soufisme, Directeur du festival de Féz.