La notion d’autorisation divine (« idhn rabbani ») revêt une importance essentielle dans le processus de transmission et d’éducation spirituelle.

Afin de mieux l’illustrer, nous pouvons partir du verset coranique suivant : « Celui que Dieu ne veut pas guider, Il ne lui fera pas rencontrer un « wali-murchid » pour le rapprocher de Lui » (Coran,XVIII, 17) : le « wali-murchid » est le guide spirituel éducateur (« sheykh at tarbiya »), capable de transformer l’intériorité de ses disciples. On aura bien noté qu’un guide spirituel véritable est un « wali », c’est-à-dire un « Ami de Dieu », un saint : mais cet état, aussi élevé et vénérable soit-il, ne suffit pas pour autant à en faire un guide (« murchid »).

Le « guide » est celui qui a hérité de l’autorisation divine (« idhn rabbani »), transmise par un autre maitre spirituel et de son vivant. C’est cette autorisation qui fonde la chaine initiatique (« silsila ») permettant de faire remonter la source de la guidance spirituelle jusqu’au Prophète (PSL) et à Dieu.

Le « idhn » est à la fois ce qui est transmis à un maitre spirituel, mais aussi ce qui donne à ce maitre les moyens de conduire et de protéger ses disciples dans leur cheminement initiatique. Ce idhn est qualifié de « rabbani » (divin) : en effet, la volonté individuelle du Sheykh n’intervient en aucune façon dans le choix et les modalités de transmission de cette autorisation.

C’est ainsi que, par exemple, un maitre spirituel sentant ses derniers instants survenir avait expliqué qu’il « remettait les clés à son Propriétaire », voulant signifier que le « Propriétaire » (Dieu) n’avait désigné aucun successeur. Dans une autre situation à peu près semblable, le maitre spirituel, qui venait de recevoir une inspiration divine claire, désigna du doigt en souriant un de ses disciples en expliquant que « Dieu n’a voulu personne d’autre que ce chauve ». Le « chauve » en question était un jeune disciple qui était venu pour aider à servir le thé et les gâteaux…

Il est donc aisé de comprendre que, a contrario, un saint qui n’a pas hérité de ce idhn n’aura pas les « moyens spirituels » de conduire ses disciples vers Dieu, même si sa fréquentation peut être par ailleurs source de grande bénédiction.

L’action opérative du idhn  ne peut s’effectuer que par l’intermédiaire d’un maitre vivant, indispensable pour permettre une réelle guidance. Comme avait pu le dire par exemple sidi Hamza al Qadiri Boutchich, « ceux qui suivent l’enseignement de Ibn Arabi ne font que suivre sa djellaba » : non pas que la lecture et la méditation des ouvrages et de l’enseignement des anciens maitres soient sans intérêt, loin de là… ; mais pour passer du savoir à une véritable connaissance, pour goûter et expérimenter pleinement les réalités spirituelles décrites dans ces ouvrages, l’influence spirituelle d’un guide vivant est nécessaire (voir l’article « de la nécessité du maitre »).

Nous devons également préciser qu’il existe plusieurs types de « idhn », se rapportant à différents domaines :

-En premier lieu, une autorisation peut être « absolue » ou « relative », quant aux degrés spirituels (maqamat) auxquels le guide pourra faire parvenir ses disciples. On peut par exemple se référer à l’histoire du sheykh sidi Abou Madyan al Qadiri, qui fut tout d’abord éduqué par un maitre de la voie tijani (Sidi Mohammed bel Ariyan) : une fois qu’il fut arrivé à une station spirituelle très élevée (le « fana », ou extinction en Dieu), Sidi Bel Ariyane lui confia qu’il « ne pouvait pas le mener plus loin », et qu’il devait aller voir un autre sheykh pour parfaire son éducation : il lui indiqua où trouver ce sheykh, qui cachait sa sainteté et sa fonction aux yeux des autres (il s’agissait du sheykh sidi Mohammed Lahlou, de la voie Chadilite, qui était le chef de la confrérie des tanneurs à Fès). Lorsqu’il vit pour la première fois sidi Abou Madyan, le Sheykh Lahlou lui dit qu’il « avait été bien servi » avec son premier maitre. Il lui transmit juste la récitation d’une prière sur le Prophète (PSL), pour continuer à le guider dans son cheminement. Sidi Abou Madyan devait ensuite recevoir un « idhn » absolu, et devenir à son tour un grand maitre spirituel (ce fut le maitre de sidi Hajj Abbas et de sidi Hamza).

-Un idhn peut par ailleurs être « total » ou limité » : le sheykh détenteur d’un idhn total pourra initier toutes les personnes venant à lui, quel que soit leur « profil ». A l’inverse, le détenteur d’un idhn limité ne pourra en initier que certaines, répondant à des qualifications particulières. L’un des exemples les plus connus est celui du Sheykh Abder Rahman al Majdhub, qui ne reçut le idhn que pour un seul disciple : Abou l Hassan Chadili. Ce dernier fut ensuite l’initiateur de la voie spirituelle qui porte encore son nom (tariqa chadiliya).

-Le idhn peut être « général » ou « conditionné » : le idhn général n’est pas limité par des contingences d’ordre géographique, et concerne potentiellement les 5 continents (sidi Hamza disait par exemple que sa voie est « kawnia », c’est à dire « universelle »). En revanche, le idhn conditionné peut ne concerner qu’une région géographique précise. Cela a une grande importance : en effet, un idhn général permettra au guide d’adapter son enseignement au contexte culturel et à la structure mentale des disciples dont il a la charge.

-Enfin, le idhn peut englober la totalité ou non des noms divins, du Coran, et des différentes prières sur le Prophète et litanies spirituelles. Un sheykh peut par exemple être « arrosé » par tout ou partie des 99 noms divins (voir par l’ouvrage « paroles d’or », traduit par la regrettée Zakia Zouanat). En fonction du idhn dont il est détenteur, le sheykh pourra donc transmettre à ses disciples tout ou partie des invocations divines.